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20 ans de médiation: avancées et impasses

affiche semaine gdv 280422Journée des Gens du Voyage du 28 avril 2022

 Conclusions d’Ahmed AHKIM, directeur du Centre de Médiation des Gens du Voyage

 

13 conclusions
 

Madame la Ministre de l’Action sociale,

Madame,

Mesdames et Messieurs,

Me voilà devant vous pour essayer de clôturer cette journée. Que dire ? Que retenir de celle-ci ? Je vous laisse bien sûr le soin, à chacun, selon sa sensibilité, sa préoccupation et sa fonction, d’épingler tel propos, tel projet, telle revendication, tel constat.

Quant à moi, je retiendrai de cette journée la diversité des acteurs présents, leur sincérité, notamment dans les propos parfois émouvant des Gens du Voyage présents. L’engagement au quotidien, ensuite, de ces hommes et de ces femmes, souvent dans l’indifférence générale quand ce n’est pas dans l’hostilité. Cet engagement prend différentes formes. Les personnalités politiques qui se sont succédées ont donné la mesure de la volonté, aussi ténue soit-elle, d’améliorer la situation des Gens du Voyage au niveau de notre région. Les interventions brillantes de Madame Delforge et de Monsieur Jandrain nous rappellent la complexité technique et juridique de la question des Gens du Voyage et la nécessité de la connaissance et de la rigueur dans toute politique ou toute solution d’hébergement des Gens du voyage, que cela soit à court ou à long terme. Lors de cette journée, nous avons aussi pu entendre les acteurs de terrain en provenance de Wallonie et de Flandre qui, malgré l’absence de directives claires, doivent pourtant composer et tentent au jour le jour, sinon d’assurer un accueil digne, de permettre au moins aux Gens du Voyage de ne pas vivre une expulsion de plus. C’est déjà cela. Cela paraît peu, au regard du gouffre entre l’existant et le bénéfice d’un minimum de droits. Cependant, hier comme aujourd’hui, permettre aux Gens du Voyage, d’être ici, avec nous, dans un village, dans un quartier, sur une pâture, un parking, une usine désaffectée, d’être ici parmi nous dans les législations sur le logement, dans les registres population, dans les préoccupations des ministres de la santé, de l’éducation,… Permettre cet « être ici », lorsque vous n’êtes « que » agent communal, « que » agent de police, « que » militant associatif, « que » médiateur,… nécessite un investissement et une énergie démesurés comparé au maigre résultat. Cependant, sans ces acteurs dont la volonté est (presque) à toute épreuve, que resterait-il si ce n’est le « rien », le vide, le néant face au mur de la sédentarité ?

Nos amis français qui nous ont fait l’honneur de leur présence parmi nous rappellent que d’autres voies que celle empruntée par la Belgique dans sa politique envers les Gens du Voyage existe. Ils nous enseignent que les autorités, comme les citoyens, ne peuvent s’engager dans une voie qui ne fait pas consensus sans un minimum de contrainte. Ils nous enseignent aussi que la meilleure loi, la meilleure politique ne peut apporter des solutions à tout et doit encore être mise en œuvre de manière judicieuse et efficace.

Enfin, les Gens du Voyage, notamment ceux ici présents, face l’absence de réponse politique satisfaisante à leurs revendications multigénérationnelles, face aux refus systématiques qui se dressent devant eux à chaque changement de lieu, de village, de commune ; ces Gens du Voyage nous donnent une/des leçon(s) de résilience, d’un espoir qui renaît chaque matin pour repartir sur les routes et tenter encore et encore leur chance. C’est cet espoir, à défaut d’optimisme, qui leur permet de reprendre le chemin de la concertation avec les autorités qu’elles soient locales ou régionales. Cet espoir qui, une année de plus, les amène à participer à notre journée. Car, la première de celle-ci organisée en 2002 pour les différents départements de la Région wallonne et les acteurs communaux nous réunissait déjà avec eux. Certains ne sont plus parmi nous, leur combat reste pourtant le même, ainsi que, à peu de choses près, leurs revendications.

Plus de 20 ans nous séparent de ces premiers moments, tentatives de faire une place aux Gens du voyage parmi nous.

C’est en 2001 que Thierry Detienne, ministre wallon de l’Action sociale, que nous avons vu et entendu en début d’après-midi, prend la décision de créer un « Centre de Médiation » entre les Gens du Voyage et les autorités publiques. Cette décision vient notamment après plusieurs expulsions et arrestations de grande ampleur ayant eu lieu en Province de Liège en 1999, essentiellement à Liège et à Verviers.

1999 est aussi l’année durant laquelle la rafle et l’expulsion collective de 80 tsiganes slovaques ont suscité l’émoi, notamment lorsque les médias ont répercuté le fait qu’un numéro d’identification avait été tatoué sur le bras des personnes arrêtées…

C’est dire que lorsque Benoîte Dessicy, directrice du Centre d’Action Interculturelle, à qui avait été confiée la tâche de porter ce nouveau projet, m’a proposé d’en être la cheville ouvrière, une série d’images encore fraîches mais combien douloureuses ont donné un sens inattendu à ce projet. C’était donc en 2001 ; la médiation, comme méthode de travail et non comme finalité, a immédiatement été l’axe autour duquel allaient se délimiter les actions futures. La médiation suggère, voire impose, qu’il y ait au minimum deux acteurs, en l’occurrence, les Gens du Voyage et les autorités publiques ou la population sédentaire. La médiation exige que la présence des acteurs ne soit pas une simple formalité mais que leur parole soit exprimée dans un langage compréhensible et acceptable par l’autre. D’emblée la tâche est pour le moins ardue, car comment trouver un langage commun alors qu’il n’y a pas d’accord sur les dénominations qui désignent cette population ? Pour rappel, « nomades », « gitans », parfois « tsiganes » voire « romanichels » étaient les termes les plus utilisés dans la sphère publique. Après une brève consultation auprès de familles que j’ai pu rencontrer en cette fin 2001, ma décision était prise, ce sera « Gens du Voyage », terme qui, à défaut d’être accepté par tous, était celui qui est le moins rejeté contrairement à tous les autres. C’est donc avec une certaine satisfaction que j’apprend courant 2003 qu’une discrète modification du code wallon du Logement remplacera dorénavant le terme « nomade » par celui de « Gens du Voyage ». Car, en médiation, le droit des personnes à se nommer constitue pour le moins une condition à tout dialogue.

Ce n’est que symbolique me direz-vous ? Peut-être, mais ce sont bien les symboles qui font qu’hier comme aujourd’hui des Gens du Voyage vivent dans une marginalité connue et assumée par notre société. Symbolique a aussi été le blocage de Nivelles par une centaine de caravanes protestant contre leur expulsion d’un terrain privé. Craignant l’incident, le ministre de la Défense de l’époque s’est investi dans la mise à disposition de terrains militaires pour l’accueil temporaire des Gens du Voyage. Solution qui a permis à plusieurs groupes d’être tranquilles, surtout durant l’hiver, et ce pendant plusieurs années. La médiation de terrain auprès des Gens du Voyage et des communes, exercée quotidiennement, a constitué et constitue toujours l’axe essentiel de notre association. L’information et la conscientisation des autorités locales et régionale a aussi été un enjeu important durant les 10 premières années, tant l’ignorance par rapport à ces citoyens wallons était grande. De 2001 à 2007, seules 4 communes (Mons-Namur-OLLN-Verviers) se sont portées volontaires pour s’engager dans un projet d’accueil des Gens du Voyage dans le cadre des subventions « FIPI », autrement dit Fond d’Impulsion à la Politique des Immigrés. C’est dire la méconnaissance que les services de cette époque pas si lointaine avaient à propos des Gens du Voyage. Ceux-ci, présents parmi nous aujourd’hui m’ont dit dès le premier jour « Nous sommes Belges »…

En 2007, la Région wallonne s’engage à financer elles-mêmes ces communes rejointes par une poignée d’autres (+Bastogne, Amay, Wasseige, Hotton, Charleroi et Ath) dans le cadre d’une convention pour l’accueil concerté des Gens du Voyage.

10 communes sur 262 communes wallonnes, cela reste peu, pour ne pas dire insignifiant. Malgré le travail acharné de notre association et l’engagement constant des Gens du Voyage dans ce qui constitue pour eux une question de survie, nous n’arriverons pas à aller au-delà. Malgré aussi les succès réguliers sur le terrain ; des succès toujours provisoires et constamment hypothéqués par le moindre faux pas d’un groupe du Voyage ou simplement par un changement lors des élections communales. Les institutions internationales s’en inquiètent. Notamment le Conseil de l’Europe qui en 2012 condamne la Belgique en raison de l’absence ou de l’insuffisance de terrains à disposition des Gens du Voyage et d’alternative à l’expulsion. 2012, nous sommes en 2022….

10 ans plus tard, nous pouvons affirmer sans trop prendre de risque, que le constat reste le même en Wallonie et en Région bruxelloise en tout cas. La justice ordonne l’expulsion des Gens du Voyage de terrain privés ou publics et, fait extrêmement rare, souvent sans même entendre les principaux intéressés au travers de requêtes unilatérales.

Est-ce à dire que rien n’a été fait ? Que nenni… !

Nous sommes aussi les témoins dans nos villes et villages de l’engagement de fonctionnaires, militants associatifs ou citoyens ordinaires auprès des Gens du Voyage. Nous sommes aussi témoins de l’effort continu des services de la Région wallonne, de différents ministres pour tenter de faire avancer la situation des Gens du Voyage. Ainsi, comme vous avez pu le voir durant cette journée, le décret « Habitations légères » voté en mai 2019 suscite beaucoup d’espoir sur le terrain. Celui consacré aux Gens du Voyage, voté le même jour, prévoyant le financement des communes volontaires pour l’aménagement de terrain doit malheureusement encore convaincre de son utilité. Pourtant le projet porté en 2017 par le gouvernement wallon précédent était très prometteur…

Ces 20 années écoulées nous ont aussi vu nous engager dans le défrichage de questions moins visibles mais tout aussi essentielles pour les Gens du voyage comme celles des problèmes urbanistiques, du domicile, des droits sociaux pour personnes mobiles, de la scolarité, des métiers en voie de règlementation et de disparition, d’autres en voie de promotion (par exemple, le transport routier). Sur toutes ces questions, le CMGV a acquis une expertise dont nous sommes fiers.

Que dire, comment entrevoir les 20 prochaines années ? A partir des sillons que nous avons tracés ensemble, le CMGV devra s’engager résolument dans l’accompagnement des Gens du Voyage et des autorités régionale et locales aux niveaux

  1. Des terrains familiaux publics et privés
  2. L’accueil temporaire des Gens du Voyage y compris durant l’hiver
  3. Les questions administratives et sociales
  4. La scolarité
  5. La lutte contre le racisme et l’antitsiganisme

Ce dernier point, dans l’époque étrange qui est la nôtre aujourd’hui, loin d’être anodin, risque d’hypothéquer toute avancée et amélioration de la situation des Gens du Voyage.

Pour terminer, je souhaiterais céder la parole à M. Charpentier, par écran interposé…

https://www.memoirestsiganes.be/index.php/ressources/videos/22-etienne-charpentier

20 ans plus tard, je me retrouve au milieu de vous pour réitérer la promesse faite en 2001 d’être aux côtés de ceux qui œuvrent pour un peu plus de justice et d’humanité… Vous tous ici présents avez contribué directement ou indirectement à l’action de notre association. Soyez-en remerciés. Je voudrais aussi remercier celui qui a accompagné notre association et qui a dispensé ses précieux conseils et connaissances inestimables depuis le premier jour et qui est aujourd’hui président, j’ai nommé Alain Reyniers !

Je ne peux évoquer les débuts du CMGV sans bien sûr appeler Benoîte Dessicy à nous rejoindre car elle a porté, au sens littéral du terme, le Centre de Médiation alors que celui-ci n’était qu’un projet sur un bout de papier griffonné sur un coin de table…

Je voudrais, enfin, remercier l’équipe qui m’accompagne au quotidien et qui, chaque jour que Dieu fait, arrache un travail formidable, reste à l’écoute de tous et de chacun, souvent dans les moments les plus difficile. Je voudrais qu’on les applaudisse !