Quel droit à l’habitat pour les gens du voyage ?
C’est peut-être la question essentielle que, lors de nos rencontres, nous ont posée ceux qui osent assumer une manière d’être au monde totalement différente de la nôtre.
Avec une première évidence : cette thématique bouscule les représentations dominantes tant en droit que dans notre conception même d’une ville durable, plus sédentaire que nomade.
L’attente est grande pourtant que le politique ouvre un débat qui dépasse la seule problématique d’aménagements d’aires d’accueil. Parce que si, littéralement, on ne veut laisser personne sur le bord de la route de la cité, ce débat doit permettre une reconnaissance mutuelle.
Rendons à César ce qui appartient à la ville de Bruxelles, cette discussion a été lancée par sa décision de dédicacer un terrain à l’accueil des gens du voyage. Décision courageuse dans un contexte d’austérité budgétaire où la tolérance perd du terrain face aux peurs de toutes sortes.
Il nous appartient aujourd’hui de soumettre d’autres propositions pour mieux répartir entre les différentes communes bruxelloises, une solidarité qui ne doit pas seulement s’objectiver en aires d’accueil mais également en facilités d’accès à des droits aussi fondamentaux que l’éducation, l’aide sociale ou le logement.
Le logement… La question est complexe et nous savons que votre réponse le sera également, Monsieur le Ministre, parce que vous avez à résoudre ce qui est pourtant le quotidien des gens du voyage : vivre le paradoxe d’être « résident-nomade » ou « mobile-sédentaire » face à une forêt de réglementations pour qui l’unicité du statut est la seule voie possible.
Tel est, résument en une phrase Céline Romainville et Nicolas Bernard, « le lourd destin des gens du voyage : leur mode de vie ambulant éveille soupçons, méfiance et hostilité […] mais voudraient-ils s’installer, on les en empêche également. »1
Première petite mauvaise nouvelle, Monsieur le Ministre : si vous êtes Ministre du Logement, vous n’êtes pas Ministre des roulottes et des caravanes.
Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont des références universitaires qui ne vous sont pas étrangères : « Non seulement la roulotte et la caravane ne font pas l’objet d’une reconnaissance officielle (que l’on se trouve en Wallonie ou à Bruxelles), mais, en plus, les formulations en présence excluent de facto l’habitat mobile du champ d’application des codes régionaux du logement. »2 Ce qui n’est pas vrai pour votre homologue flamand : dans le Code régional flamand du logement, l’article 1er, 33°, considère la « roulotte » comme un logement.
Alors quelles sont les pistes politiques à explorer pour en finir, ou en tout cas, réduire ce qui est, à l’évidence une discrimination ?
Elles sont multiples, difficiles à mettre en œuvre, elles doivent faire l’objet d’un véritable travail de législature.
Avant tout, il nous faudrait aujourd’hui abandonner cette conception séculaire du logement considérée comme « immeuble ou partie d’immeuble » pour étendre la notion de domicile aussi « aux logements caractérisés par leur mobilité et flexibilité, destinés à une occupation permanente et non récréative » comme le prévoit le Code flamand du logement parce que symboliquement c’est important et que quand on parle de discrimination les symboles sont essentiels.
Le chemin législatif ne sera pas simple et une définition, fut-elle juridique, ne se substitue pas à la réalité.
Mais ce serait un nouveau geste de reconnaissance, une nette déclaration de notre volonté de donner à chaque Bruxellois une citoyenneté à part entière.
Un pas supplémentaire vers un logement qui serait d’abord un habitat, à savoir un carrefour de droits, de devoirs et de libertés, un lieu de vie, tout simplement.
Dès lors, mes questions sont finalement simples, Monsieur le Ministre :
– Avez-vous mis à l’agenda du gouvernement une extension de la notion de domicile à l’habitat mobile des gens du voyage ? Existe-t-il des initiatives prises dans ce sens par le gouvernement ? Sinon, pourquoi ?
Je vous remercie d’avance pour vos réponses.
Vincent Lurquin