Journée des Gens du Voyage 2017 : synthèse des contributions

Mardi 9 mai 2017, le Centre de Médiation des Gens du Voyage a organisé une matinée de conférence dans le cadre de la Journée des Gens du Voyage au Théâtre Royal de Namur. Pour les différents acteurs concernés, l’organisation du séjour temporaire des Gens du Voyage est généralement un sujet sensible et épineux, qu’ils sont contraints de traiter dans l’instant. Pour cela, l’annuelle Journée des Gens du Voyage se veut l’occasion d’un temps de débat en dehors de toute situation d’urgence et dans un contexte autre que celui du feuilleton estival que nous sommes tous amenés à observer par médias interposés.

 

Les mots d’introduction étaient réservés à Madame Eliane Driesen, présidente du Centre de Médiation des Gens du Voyage, qui a évoqué les différentes dimensions, parfois diamétralement opposées, du mot « accueil » ; un discernement qu’elle a très justement résumé comme suit : « l’accueil est une séquence qui se joue à deux : la manière dont on accueille amène une réponse de celui qui est accueilli ». Une réalité loin d’être étrangère à notre premier intervenant, le Ministre de l’Action Sociale, Maxime Prévot.

Pour ouvrir cette matinée de conférence, nous avons donc eu l’honneur d’accueillir le Ministre de l’Action Sociale, Maxime Prévot, qui travaille actuellement sur un projet de décret qui multiplierait les possibilités d’accueil en région wallonne. Né du constat d’un succès mitigé de la politique incitative actuellement menée en Wallonie, et conscient que l’impopularité de la thématique révèle un besoin d’implication supra-communale, le projet du Ministre propose d’instaurer une obligation d’accueil des Gens du Voyage dans chaque province wallonne. En reconnaissant le mode de vie mobile comme une réalité qui exige des droits, l’intervention du Ministre a illustré l’authenticité de sa volonté politique et a directement placé au cœur du débat l’urgence d’organiser l’accueil dans les communes wallonnes. D’après Maxime Prévot, un double enjeu, et même un double impératif, réside dans la création de terrains : celui de la dignité des familles du Voyage, et, dans le même temps, celui de la cohabitation harmonieuse entre Voyageurs et sédentaires.

L’intervention du Ministre a ensuite laissé place aux réactions de représentants de la communauté des Gens du Voyage. Au cœur de chaque intervention lors de cette table-ronde, demeurait la nécessité de développer une meilleure répartition de l’accueil entre les communes, afin  de répondre réellement aux besoins des Gens du Voyage en termes de séjour. Les questions d’organisation et de gestion étaient également centrales et présentées par tous comme une base élémentaire pour instaurer des relations « win-win ».

Les représentants de la communauté des Gens du Voyage se sont montrés réjouis des possibles avancées législatives, mais ont tenu à exprimer certaines craintes, notamment en ce qui concerne l’insuffisance actuelle des réponses aux besoins et de ses implications à court-terme. La perspective du manque de terrains reste un enjeu vécu au présent, particulièrement au vu des délais de mise en place d’une nouvelle politique d’accueil. Etienne Charpentier, Président du Comité National des Gens du Voyage, résume : « Nos problèmes, ils sont aujourd’hui et ils sont graves ». Avant de rappeler l’ancrage historique des Gens du Voyage dans la société belge : « Nous voulons exister dans la société, tout en vivant notre culture. Nous voulons garder notre droit à la liberté du Voyage. Ce n’est pas parce que je vis en caravane que je suis exclu : les Gens du Voyage sont des Gens de chez vous, des belges à part entière, qui ont droit au logement. »

Autre sujet de litige : à l’instar des actuelles possibilités de séjour temporaire, il est possible que la future obligation d’accueil soit limitée à la période entre le mois de mars et le mois d’octobre. Or, les Gens du Voyage sont là toute l’année ! Les terrains devraient être accessibles sans interruption. Sandra Zepp, représentante des Filles du Vent, rappelle les réalités vécues par les familles qui n’ont nulle part où aller : «  La fermeture des terrains durant la période hivernale n’a pas lieu d’être car des familles entières se retrouvent sur les routes en plein hiver, sans possibilité de s’arrêter et de scolariser leurs enfants ».

Ensuite, le rôle des communes dans la communication et l’information des populations locales a été abordé par Jean-Becker, représentant de l’association Vie et Lumière. Un impératif pour préparer au mieux l’arrivée des Gens du Voyage, et ce d’autant quand il s’agit de la thématique des grands rassemblements, ces évènements de plus de cent caravanes qui défraient chaque année la chronique : « Un instant, je me mets dans la peau d’un sédentaire. Si je vois arriver 300 caravanes devant chez moi, j’ai besoin d’information. C’est à vous et à moi de leur en donner ».  

A ce sujet, Ahmed Ahkim, directeur du Centre de Médiation des Gens du Voyage, a rappelé que ce besoin de sensibilisation peut aisément être rencontré via la formation d’un agent référent par commune, un travail déjà accompli par le Centre de Médiation des Gens du Voyage avec les agents référents des 11 communes subventionnées par la Région Wallonne. « Les besoins des Gens du Voyage sont les mêmes que les nôtres, à la différence que ces besoins sont mobiles et génèrent des réponses précises et particulières, d’où l’importance des coachings ».

La parole a ensuite été donnée au public, l’occasion pour les participants de poser diverses questions aux intervenants, relatives aux questions de scolarité, de travail, de discrimination,… L’occasion aussi, pour certaines personnes présentes, de témoigner de l’incompréhension de certaines administrations communales à l’égard des personnes qui vivent en caravanes. Des mesures parfois si répressives qu’un participant, habitant seul en caravane et étant en règle du point de vue urbanistique n’a pas hésité à parler de « caravanophobie », un terme récupéré par le public à plusieurs reprises dans les échanges qui suivirent.

La deuxième table-ronde a quant à elle rassemblé des personnes référentes chargées de l’accueil des Gens du Voyage, venues de Wallonie, de Flandre, mais aussi de France :

La table-ronde a débuté par un focus sur l’expérience de Bastogne, nouvelle commune dans le projet de séjour temporaire subventionné par la Région Wallonne qui a pu exposer ses premières expériences d’accueil au travers des récits de Dimitri Collet et de Maria-Laura Touchèque du CPAS de Bastogne. Vint ensuite le retour d’expérience de Vital Wouters, agent référent pour la commune de Wasseiges, où des familles de Voyageurs résident pour des périodes variables depuis plus de 10 ans. Si le séjour des Gens du Voyage en territoire communal est limité à un camping privé, Monsieur Wouters a fait état des efforts importants déployés pour permettre aux Voyageurs d’avoir accès aux droits et services comme tout autre citoyen, ainsi que pour améliorer les relations entre les Gens du Voyage et les populations locales. Des efforts qui, constate Monsieur Wouters, ont visiblement porté leurs fruits au fil des années. L’expérience de la commune de Wasseiges a aussi cela de particulier que de nombreuses activités pour jeunes sont mises en place par l’agent référent.

Pour obtenir un aperçu du côté Flamand, nous avons bénéficié de la présence d’Emmanuel Vandenbergen, agent référent pour la commune d’Huizingen. Son intervention a permis d’évoquer les avancées de la Flandre comparé à la Wallonie, mais aussi bien souvent, le fossé qui existe entre les textes de loi et la réalité. Il semble qu’aujourd’hui encore, bien souvent, les améliorations concrètes restent du domaine des efforts individuels et locaux déployés par le personnel d’Huizingen et de Gand.

Enfin, du côté français, nous avons eu le plaisir d’accueillir Patrick Vigneau de la Sauvegarde du Nord, et Martine Serlinger de l’ASNIT (Association Nationale et Internationale Gitane), deux associations qui travaillent avec les Gens du Voyage depuis plusieurs décennies.

L’intervention de Monsieur Vigneau a été l’occasion de détailler la particularité du système français, qui réside dans le fait que le séjour temporaire des Gens du Voyage s’inscrit dans un contexte législatif : la loi Besson veut que toutes les villes de plus de 5000 habitants soient contraintes de créer une aire d’accueil. De même, chaque département français (équivalent des Provinces en Belgique) a l’obligation de réaliser un schéma départemental précis et de nommer un médiateur qui a pour fonction de gérer et promouvoir ce schéma. Le schéma départemental, doit aussi créer des aires de grand passage. Dans la pratique, plusieurs problèmes émergent, notamment la stagnation de certaines familles appauvries sur des aires de passages, qui ne remplissent alors plus leur fonction de rotation. Par ailleurs, de nombreuses municipalités ne respectent pas leurs obligations. L’Association Sauvegarde du Nord travaille au respect de la loi, en insistant auprès des municipalités pour qu’elles prévoient au moins des terrains provisoires. Monsieur Vigneau a également présenté le développement de « l’habitat adapté », qui permet aux familles le désirant d’habiter dans une petite maison, et de placer leur caravane à côté. Cette solution vise à répondre à un besoin de plus grand confort pour certaines familles qui ont notamment le désir d’être mieux implantées et de faciliter la scolarité de leurs enfants. La Sauvegarde du Nord observe que ces personnes ont en réalité plus de facilité à reprendre le Voyage car elles n’ont plus la peur de revenir sur une aire d’accueil où leur place est déjà prise.

Pour l’ASNIT, Madame Serlinger a offert une réflexion sur les finalités des politiques d’accueil des Gens du Voyage et les conséquences de ces choix politiques en insistant principalement sur l’importance de promouvoir le mode de vie mobile, ainsi que ses principes et atouts. En effet, la mobilité des Gens du Voyage est un atout majeur car il leur confère adaptabilité et flexibilité, ce qui permet une grande diversité d’habilités professionnelles. Cela a pour conséquence que les familles qui voyagent réussissent généralement beaucoup mieux économiquement, tandis que la sédentarisation forcée ou subie, quant à elle, tend à enfermer les familles dans des situations de dépendance sociale. En survolant les politiques existantes (notamment en France, Irlande, Hollande), Madame Serlinger a démontré que le mode de vie mobile n’est toujours pas reconnu comme partie de la structure de nos pays : le mode de vie sédentaire est le seul modèle considéré comme aboutissement de la réussite sociale. Les politiques d’habitat et de la mobilité se basent sur des critères exclusivement sédentaires, avec pour effet le développement de politiques de sédentarisation qui aboutissent à l’exclusion et à la pauvreté. Madame Serlinger en appelle à la responsabilité des élus dans les choix politiques et dans la sensibilisation de leurs populations : ils peuvent activement participer à l’amélioration de la relation entre les populations majoritaires sédentaires et minoritaires mobiles, notamment via la reconnaissance de la caravane comme logement, mais en protégeant et valorisant le mode de vie mobile.

Ahmed Ahkim, directeur du Centre de Médiation des Gens du Voyage a également pris le temps de formuler des pistes et recommandations inscrites principalement dans une approche « housing first ». En effet depuis la création du Centre de Médiation en 2001, l’absence de prise en charge du séjour temporaire des Gens du Voyage s’est avérée être la pierre angulaire autour de laquelle tournent toutes les autres difficultés de la communauté (emploi, santé, scolarité). Parmi les recommandations d’Ahmed Ahkim :

  • l’organisation du séjour temporaire dans toutes les communes wallonnes
  • l’organisation de l’accueil pendant l’hiver et l’établissement d’un moratoire hivernal sur les expulsions
  • le développement de la possibilité d’habiter en terrain familial
  • un accès et une application égale de la loi (notamment en ce qui concerne le domicile de référence)
  • la reconnaissance de la caravane comme logement.

Parmi les pistes aussi, la question de la lutte contre la stigmatisation et la discrimination, et plus largement du rejet explicite ou implicite de la vie en caravane, un rejet toujours d’actualité alors même qu’il s’agit d’un mode de vie totalement complémentaire à la vie sédentaire. 

Les conclusions de la matinée du 9 mai ont été assurées par Dominique Hicguet, Inspectrice Générale à l’Administration de l’Action Sociale de la Province de Namur. Madame Hicguet a salué les principes fondamentaux de solidarité, de respect, mais aussi de reconnaissance et d’accès aux droits, qui ont été remis au cœur du débat par cette matinée de conférence. Quant à la possible légifération de l’organisation du séjour temporaire par la Région, Madame Hicguet voit dans le projet de décret un défi important lancé aux pouvoirs publics, que la Province de Namur se tient prête à relever dans sa mission de supra-communalité. En attendant les dites avancées législatives, l’essentiel pour les Provinces sera de se montrer proactives et pragmatiques afin de répondre le plus adéquatement possible aux besoins et problématiques tels qu’ils émergent au présent.