Habitat léger et terrains familiaux : problématiques de terrain

Intervention de Céline Vandenplas – CMGV – lors de la Journée des Gens du Voyage 2023

Les terrains familiaux correspondent plutôt à un habitat privé ; les Gens du voyage y vivent durant des périodes plus longues, ils impliquent davantage un ancrage local et territorial.

Malgré tout, si la famille vit sur ce terrain, dans ce quartier, dans cette commune, et ceci la majeure partie de l’année, il reste que l’ancrage local, territorial n’est certainement pas aussi évident que pour une famille sédentaire.

Le parcours est souvent laborieux, chaotique pour les membres d’une famille du voyage – en leur qualité de nouveaux habitants, ils doivent quant à eux s’inscrire dans une démarche de revendication pour accéder (ou pas) aux mêmes droits : ils doivent souvent demander à être entendus par l’autorité communale, ils doivent sensibiliser, rejustifier, réexpliquer et même parfois introduire un recours administratif ou judiciaire à l’encontre d’une décision.

Par exemple : « La déclaration de mariage n’est pas recevable compte tenu d’une inscription en adresse de référence. »

Un autre exemple récent et qui peut malheureusement être qualifié de « commun » :

Une demande de domiciliation est introduite en bonne et due forme par un couple qui s’est installé sur un terrain, propriété de la famille depuis deux décennies : impossible d’obtenir une décision de la part du service population, puis c’est un refus qui est communiqué par voie orale uniquement, impossibilité ensuite de se le voir communiquer par écrit. In fine pas de motifs légaux invoqués pour justifier le refus, il s’agit simplement d’une volonté de ne pas domicilier à l’adresse d’une caravane ou d’un chalet. Le service population conseille le couple en lui indiquant que son inscription en adresse de référence chez un proche pourra vraisemblablement être acceptée.
En l’occurrence, ce couple ne répond pas aux conditions légales de l’inscription en adresse de référence puisqu’il vit de manière permanente sur son terrain – c’est-à-dire plus de 6 mois – à une adresse fixe.

Ainsi, avec cet exemple, ce que l’on observe c’est que :

D’une part,

  • rarissimes sont les situations dans lesquelles la loi est interprétée en faveur d’une famille, de manière à régulariser ou officialiser ce qui est
  • à l’inverse, il arrive que les dispositions légales existantes et qui collent à la situation ne soient pas strictement appliquées.

D’autre part, on constate que certaines familles – lasses d’avoir à s’inscrire justement dans cette démarche de revendication (avec ce qu’elle implique en termes de temps, d’énergie, de sentiments renouvelés de rejet, de frustration, de crainte d’expulsion) – abandonnent purement et simplement certains droits ou acquiescent aux pis-aller qui leur sont proposés.

N’existe-t-il pas une citoyenneté « à deux vitesses » dans ce cas de figure précis mais plus généralement lorsqu’il est question de la présence sur un territoire donné de familles du voyage ?

Les enjeux et les problématiques qui surgissent lorsqu’il est question pour les familles du Voyage de s’établir durablement rappellent ceux qui sont évoqués dans le cadre des discussions relatives aux séjours temporaires.

Ainsi, qu’ils voyagent à titre principal ou de manière occasionnelle, peu importe, la question de la place que les Gens du voyage peuvent prendre et de l’espace qu’ils peuvent occuper sur le territoire est centrale et se décline dans des problématiques similaires que ce soit lorsqu’ils s’installent

  • à titre temporaire dans des lieux différents ou
  • de manière durable dans un même lieu, c’est-à-dire sur un terrain familial.

La cause ? Leur habitat, que ce soit un chalet, une caravane mobile ou résidentielle et peu importe qu’ils soient propriétaires du terrain, locataires ou simples occupants à titre précaire.

« Dans la tête des gens, les Gens du voyage ils n’ont qu’à voyager et s’ils s’arrêtent quelque part, ils n’ont qu’à repartir. On a l’impression que si on ne fait rien pour eux, ils ne resteront pas ». (1)

N’est-ce pas ce qui sous-tend certaines décisions, certaines lignes politiques ? Est-ce que cette attitude produit l’effet escompté ? La réponse est négative : ainsi, s’il n’y a aucune disposition légale qui concerne les terrains familiaux en Wallonie, il en existe nécessairement…ces familles qui vivent en caravane, en chalet depuis des années et qui n’ont toujours pas pu officialiser leur situation, que ce soit par le biais de leur inscription dans les registres, un raccordement officiel à l’eau ou à l’électricité, le ramassage régulier des déchets, l’obtention d’un permis d’urbanisme, la reconnaissance de leur statut de concitoyen, de villageois, de voisins.

Pourtant, ils sont là… ils vivent là… depuis des dizaines d’années parfois.

A cet égard, ce que l’on constate aujourd’hui à travers nos interventions c’est un nombre croissant de Voyageurs belges qui souhaitent « trouver un terrain » pour se poser durablement, disposer ainsi « d’une zone de repli », ne fusse que pour être certains de pouvoir vivre décemment durant la période hivernale (novembre à mars).

« Trouver un terrain » : la plupart du temps, leur priorité n’est pas nécessairement d’acquérir, d’avoir, mais de « disposer durablement d’un petit bout de terrain » en payant bien entendu le loyer ou l’indemnité d’occupation, leur consommation d’énergie etc.

« Nous, on est assimilé à notre terrain, cela consacre d’une certaine façon notre origine, notre appartenance. Le sol nous donne un droit, une légitimité.
Chez les voyageurs, ce n’est pas souvent leur truc, le terrain c’est plutôt utilitaire.
Nous on veut posséder la terre, eux ils sont de la terre ». (1)

Trouver un terrain, c’est encore plus complexe aujourd’hui qu’hier (pour les Gens du voyage comme pour les sédentaires, personne n’est épargné). On sait que les disponibilités foncières diminuent.

C’est donc une entreprise complexe pour les Gens du voyage qui ne disposent pas encore d’un terrain mais ça l’est aussi pour -les enfants des parents disposant par chance d’un terrain – et qui ne peuvent leur garantir qu’ils pourront y rester avec leur épouse, leurs enfants, faute de place et faute de pouvoir prétendre à une quelconque extension du terrain existant.

L’urbanisation croissante fait que ces lieux autrefois sans aucun voisinage (parce que souvent situés aux confins de la commune, dans des endroits fort isolés par rapport à la ville) deviennent eux aussi très recherchés, font l’objet de projets de immobiliers, etc.

Si l’on assiste à une saturation de nos quartiers de sédentaires, les Gens du voyage assistent donc eux aussi à la saturation de leurs terrains.

Des régularisations urbanistiques doivent intervenir dans la perspective à tout le moins de pérenniser ce qui est…Dans le contexte actuel, ne pas officialiser ou régulariser apparait contre-productif : Où reloger ces gens puisqu’il n’y a plus de ressources, ni dans le parc immobilier privé ni dans le parc immobilier social ?

Il faut donc poursuivre ce qui a été entamé en Wallonie avec le décret wallon du 02 mai 2019 qui reconnait la caravane, le chalet, la tiny house, comme une « habitation légère », et son arrêté salubrité de décembre 2020.

Poursuivre c’est-à-dire aller plus loin… Sur le terrain, la délivrance de permis d’urbanisme pour ce type d’habitat reste exceptionnelle, elle l’est tellement que lorsqu’elle survient, elle fait l’objet d’un article dans la presse locale. Les régularisations urbanistiques de situations existant depuis parfois deux décennies n’interviennent, quant à elles, que très rarement.

 

(1) Extrait du documentaire “Ces routes perdues” réalisé par Kamel MAAD – mars 2005