Le séjour temporaire des Gens du voyage dans les Règlements Généraux de Police en Wallonie

Dans le cadre d’une recherche sur les réglementations communales traitant des Gens du voyage et de leur habitat, de premiers résultats commencent à apparaître. Si les pratiques d’accueil ou de tolérance de leurs caravanes varient d’une commune à l’autre, les premiers résultats mettent en avant, de manière étonnante, une quasi uniformité dans la manière dont les autorités communales appréhendent les Gens du voyage et leur habitat au travers de leurs réglementations. Cet article présente ces premiers résultats, abordant la question de la définition et la question de l’autorisation ou de l’interdiction des Gens du voyage ou de leur caravane sur le territoire communal. D’autres dimensions du séjour des Gens du voyage seront abordées dans un futur article.

Le Règlement Général de Police

 

A l’exception de 6 communes qui n’ont pas de disposition relative au séjour temporaire des Gens du voyage ni au stationnement de caravanes sur leur territoire, le séjour temporaire est réglementé au niveau communal dans les Règlements Généraux de Police. Le Règlement Général de Police (RGP), parfois aussi appelé Ordonnance Générale de Police, est un code de conduite de la vie en société au niveau communal. En effet, en vertu de l’article 135 de la Nouvelle Loi Communale, « les communes ont pour mission de faire jouir les habitants des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics.». Le RGP couvre donc des sujets très différents tels que le stationnement, le tapage nocturne, l’occupation de la voie publique à des fins privatives, la gestion des déchets ou l’entretien des trottoirs et un manquement à l’une de ces règles peut mener à une sanction administrative communale.

Il existe 261 communes en Wallonie (dont 10 en Communauté Germanophone), regroupées en 71 Zone de police. Dans beaucoup de Zones de police, les communes se sont coordonnées pour adopter un RGP unique à l’ensemble de leur zone afin de faciliter le travail de leurs agents de police. Néanmoins, il reste des Zones de police dans lesquelles les communes (ou une partie d’entre elles) n’ont pas harmoniséleurs Règlements et où les règles sont différentes dans chaque commune.

Remarque: En plus des RGP, les communes adoptent des Règlements communaux pour réglementer des matières spécifiques. Certaines communes disposent donc d’un règlement communal relatif à l’usage d’un terrain communal pour le séjour temporaire des Gens du voyage. Par exemple,les règles relatives à l’utilisation de l’aire d’accueil aménagée de Namur ne se trouvent pas dans le RGP de la Ville mais dans un règlement spécifique. Néanmoins, le travail d’analyse présenté ici ne porte que sur les RGP. Les règles supplémentaires contenues dans d’éventuels Règlements communaux ne sont donc pas prises en compte.

Pour chacune des communes wallonnes, l’objectif était donc d’identifier les dispositions du RGP qui encadrent le séjour temporaire des Gens du voyage et de répondre aux questions suivantes:

  • Le séjour temporaire est-il autorisé/interdit ?
  •  Y a-t-il des exceptions à cette interdiction ?
  •  Dans les cas où le séjour temporaire est autorisé, à quelles conditions l’est-il?

 

Gens du voyage ou nomades ?

Pour commencer, il nous semble important de rappeler la définition du Centre de Médiation des Gens du voyage. Les Gens du voyage sont une population composée de plusieurs communautés originaires de Belgique ou de pays limitrophes partageant un mode de vie et un habitat mobile. Cet habitat mobile est d’usage traditionnel et non-récréatif.

La majorité des communes wallonnes utilisent le terme “Gens du voyage” pour désigner les personnes issues de cette communauté. Cependant, un grand nombre de communes utilisent encore la notion de “nomades” et une petite cinquantaine utilisent les 2 termes de manière interchangeable. Pourtant, le terme « nomade » est très largement rejeté par les Gens du voyage qui le considèrent comme péjoratif. Notons également que 30 communes font plutôt référence à l’habitat mobile et pas aux personnes ou aux communautés concernées.  Si certaines d’entre elles parlent des “habitants de caravanes, roulottes et autres demeures ambulantes”, d’autres ne se réfèrent pas aux individus et utilisent des formulations beaucoup plus générales telles que “le stationnement de caravanes et roulottes est interdit”.

En ce qui concerne la définition des termes utilisés, 16 communes donnent une définition du terme “nomade”, 39 définissent le terme “Gens du voyage” et 20 donnent une seule et même définition pour ces 2 termes. Bien que les définitions varient légèrement de commune en commune, la majorité d’entre elles se focalise uniquement sur le mode d’habitat: « léger », « mobile » et « ne séjournant que pour un temps assez court au même endroit ». Seules 2 communes donnent une définition plus proche de celle de la Région Wallonne définissant les Gens du voyage comme “des communautés d’origines différentes caractérisées par un habitat mobile et par des périodes de séjour temporaire et par des périodes de séjour hivernal”[1].

Une seule commune donne deux définitions distinctes pour les “Gens du voyage” et les “Nomades”. La définition donnée pour les Gens du voyage est celle de la Région Wallonne alors que les nomades y sont uniquement définis par leur mode d’habitat, laissant ainsi de côté l’idée de communauté d’une certaine origine. 

[1] WALLEX. Décret du 2 mai 2019 relatif à l’aide aux Gens du voyage modifiant la Deuxième partie, Livre 1er, Titre VII, du Code wallon de l’Action sociale et de la Santé

Une interdiction massive des caravanes

Bien que les textes diffèrent d’une commune à l’autre, nous remarquons néanmoins une tendance générale à l’interdiction. Sur les 261 communes wallonnes, 241 communes parlent d’interdiction ou utilisent une formulation négative (Ex: Les Gens du voyage ne peuvent pas séjourner sur le territoire).

Parmi les 20 communes qui n’interdisent pas explicitement le séjour temporaire, 6 d’entre elles n’ont pas de disposition relative à ce sujet dans leur RGP et 14 utilisent une formulation positive (Ex: Les Gens du voyage qui souhaitent séjourner sur le territoire de la commune …).

Il ne s’agit pourtant jamais d’une interdiction ou d’une autorisation pure et simple. Les interdictions sont toujours accompagnées d’exceptions et les autorisations, de conditions. En interprétant ces conditions et exceptions, nous pouvons considérer qu’une autorisation avec des conditions extrêmement strictes équivaut à une interdiction et qu’à l’inverse, une interdiction avec des exceptions très larges peut être vue comme une autorisation. Par exemple, 8 communes interdisent le séjour temporaire avec une exception pour les séjours de moins de 15 jours. Ce délai pouvant être considéré comme satisfaisant, nous considérons que cette interdiction équivaut à une autorisation de fait.

Dès lors, en tenant compte de toutes les conditions et exceptions prévues par chacune des communes, nous arrivons à un résultat légèrement différent mais qui ne modifie en rien le constat de l’interdiction générale du séjour temporaire dans les règlements communaux.

Interdit sauf …

La règle des 24 heures

Nous l’avons dit précédemment, il ne s’agit jamais d’une interdiction pure et simple. Chaque RGP prévoit des exceptions qui permettent le séjour temporaire dans certains cas. Une exception récurrente est celle d’un délai pendant lequel le séjour est autorisé sur le territoire de la commune sans condition particulière. 176 communes prévoient une telle exception. Dans la grande majorité des cas, ce délai est de 24h ! Il s’agit ici clairement d’une transposition des anciennes règles du Code de la Route dans les RGP, et notamment de l’article 27.5.1 qui stipule qu’«Il est interdit de mettre en stationnement plus de 24 heures consécutives sur la voie publique des véhicules à moteur hors d’état de circuler, remorque.».

Autorisé sur un terrain qui n’existe pas ...

Les autres exceptions à l’interdiction sont l’autorisation du bourgmestre, le séjour sur un terrain spécialement aménagé à l’intention des Gens du voyage, ou un cumul de ces différentes exceptions (par exemple: sans autorisation du bourgmestre, le séjour n’est autorisé que pendant 24 heures et, pendant ce délai, uniquement sur des zones aménagées à cet effet). Nous remarquons qu’une large majorité de communes prévoit une exception liée à la présence d’un terrain aménagé à l’intention des Gens du voyage sans donner plus de précision à ce sujet. Certaines communes disposent d’un Règlement communal relatif à l’utilisation d’un terrain d’accueil clairement identifié, ce qui nous amène à penser qu’elles permettent effectivement le séjour temporaire aux conditions prévues dans ce dernier règlement. Néanmoins, pour bon nombre d’entre elles, nous n’avons pas trouvé un tel règlement et encore moins d’informations à propos d’un éventuel terrain mis à disposition des Gens du voyage. Il est donc difficile de confirmer la disponibilité de terrains dédiés à l’accueil des Gens du voyage sur le territoire de ces communes.

Premières conclusions

Le constat de l’interdiction systématique de la présence de caravanes dans les communes wallonnes permet de mieux comprendre pourquoi tous les acteurs locaux (Gens du voyage, administrations, police et Collèges) sont complètement démunis  face à la simple présence des Gens du voyage. Ces acteurs sont soumis à des forces et des injonctions contradictoires, générales et abstraites au travers des Règlements communaux, et puissantes et concrètes de par les réalités de terrain. Ce simple « cocktail » permet de saisir le potentiel conflictuel de la question de la présence des Gens du voyage. Nous aborderons dans un article ultérieur d’autres dimensions de la question des Gens du voyage dans les Règlements communaux.

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