L’accueil des Gens du Voyage : quel rôle pour la police ?

Le jeudi 22 novembre 2018, le Centre de Médiation a organisé, en partenariat avec l’Académie de Police de la Province de Liège un séminaire sur la thématique de l’accueil des Gens du Voyage.

La Police a été pendant longtemps le seul acteur sollicité pour gérer l’arrivée ou la présence de Gens du Voyage sur le territoire communal. Malgré quelques avancées notoires sur le plan des réglementations, la gestion du séjour temporaire des Gens du Voyage reste dans la pratique marquée par des difficultés techniques et organisationnelles importantes.

Le directeur de l’Académie de police, Bruno VANDERVELDEN. Il a rappelé que la police se trouve parfois démunie lors de son intervention auprès des Gens du Voyage. C’est pourquoi « ce genre de formation est évidemment très intéressante parce que ça permet de discuter, ça permet d’ouvrir le débat et de confronter les idées. Voilà la raison pour laquelle, nous avons, nous, organisé cette formation ».

Alain REYNIERS, anthropologue et professeur extraordinaire émérite à l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve, a introduit la matinée en expliquant la notion de « Gens du Voyage ». « Cette expression, devenue courante dans notre société, concerne différentes communautés de familles : manouche, roms, voyageurs, gitans, sintis. Ces termes renvoient à des populations qui ne sont pas toutes originaires de Belgique ou de France.
Ils ne voyagent pas pour faire du tourisme, mais pour établir et pérenniser leurs activités économiques et ce depuis des siècles. Une fois leur activité terminée, ils se déplacent ailleurs pour en trouver une autre. Par exemple, les circassiens lorsqu’ils font leur travail à un endroit, il n’y a plus rien à faire. Donc, ils vont voir ailleurs.

Ces communautés différentes provenant de lieux différents ont par conséquent une histoire différente. Ils ont une culture, des coutumes qui leur sont propres dues à leur contact avec des populations différentes, conséquence de leur voyage. »

La matinée s’est poursuivie avec Ambre VASSART, juriste au sein de l’Union des villes et des communes. Elle a expliqué les mesures de police administrative que doivent respecter les communes. Il n’y a pas de législation spécifique réglementant le séjour des Gens du Voyage, seule la police administrative peut être employée afin de faire respecter l’ordre public. Il se décline sous le trio : sécurité, salubrité et tranquillité publique. Une mesure de police administrative est attentatoire aux droits et aux libertés de la personne. Pour les GDV, elle porte atteinte à leur liberté d’aller et venir. Dès lors, ces mesures doivent respecter les droits et les libertés de la personne ainsi que le principe de proportionnalité du projet.

C’est vraiment prioritairement avec ces 10% que l’on doit travailler. Si on a un message prioritaire à faire passer, ce serait d’inviter plus de communes à jouer le jeu et à s’investir vraiment dans la mise en place de ce type de ce projet. On est vraiment convaincu de la plus-value d’un tel projet. Ça demande vraiment un investissement, mais je pense vraiment que chacun en sort grandi de cette expérience ».
Cette intervention a été combinée avec la prise de parole de l’inspecteur principal de la zone de police de Meuse-Hesbay, Christelle DOUILLET : « La particularité, c’est qu’à Amay, il y a une commune qui prévoit l’accueil des GDV et pour les autres, rien n’est prévu. Cela veut dire que le rôle de la police sera différent en fonction de si vous arrivez à Amay ou ailleurs…

Dans le cas où les voyageurs arrivent de manière imprévue. Tant à Amay que sur les autres communes de la zone. Une des difficultés dans notre zone de police, les communes renvoient vers Amay en disant qu’il y a un terrain. Oui, il y a un terrain, mais on n’y arrive pas comme ça. Il y a les zones de police avoisinantes qui parfois les envoient chez nous. Ils arrivent à Amay, ça ne va pas. Ils vont s’installer sur une autre commune de la zone. Je me permets si vous pouvez le retenir, le terrain n’est pas disponible comme ça. Il y a vraiment une planification. Il vaut mieux téléphoner éventuellement parce qu’il est possible qu’un groupe se désiste aussi. Demander de prendre la route en disant que vous allez être accueilli et que tout va bien se passer, ce n’est pas comme ça que ça se passe.

Il faut privilégier le dialogue, le respect et la confiance réciproque parce que si on doit arriver à des mesures ultra contraignantes, on n’a pas forcément les moyens. Il vaut toujours mieux privilégier ça et aussi persuader et essayer de trouver des solutions avec eux. D’autant plus que si ça se passe mal dans une commune, ils vont partir et se retrouver dans une autre commune tendus. Il va y avoir des lieux de crispation qui sont de plus en plus importants et finalement, c’est un cercle vicieux. Il n’y a pas de procédure toute faite. On fait ce qu’on peut. C’est une adaptation à chaque fois, mais ça, comme dans d’autres domaines, on s’adapte à chaque fois. L’accueil, on l’évalue chaque année, et nous pensons qu’il serait intéressant d’intégrer quelques informations sur le phénomène, sur le mode de vie des Gens du Voyage pour permettre de démystifier. En démystifiant, cela permet d’adapter son comportement et sa communication. »

Le CMGV a toujours à cœur de donner la parole aux Gens du Voyage eux-mêmes. Etienne CHARPENTIER, président du Comité National des Gens du Voyage a exprimé son vécu. Il rappelle que les Gens du Voyage sont belges : « Nous avons toujours été ici sur le sol. Nous avons toujours été ici présents. Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous sommes ici. J’ai 63 ans. Il y a plus de 40 ans, à l’âge de 23 ans, mon père avant et les grands-parents encore avant, ils sont décédés. »
Même si les relations sont parfois un peu tendues entre les voyageurs et les policiers. Monsieur Charpentier les remercie « ce sont les hommes de terrain, les hommes de la situation. Ils voient les difficultés, ils voient les problèmes, les efforts que l’on mène. Il est vrai que parfois, c’est la police qui fait l’intermédiaire entre le bourgmestre et nous ».
Deux possibilités existent soit, la commune adopte une ordonnance de police grâce à son pouvoir réglementaire soit, le bourgmestre prend un arrêté de police.
Le pouvoir réglementaire est une mesure générale et abstraite applicable à tout un chacun comme l’interdiction de jeter ses mégots en rue. Un arrêté de police du bourgmestre est une mesure ponctuelle et individuelle. Avant d’adopter un arrêté, il faut constater un trouble.
Ensuite, il faut essayer de trouver une solution à l’amiable. Cette solution découle du principe que chacun doit être entendu (audi alteram partem). Pour les Gens du Voyage, il faut que les moyens de défense leur soient adaptés. Si aucune solution à l’amiable n’est trouvée, vient alors l’adoption d’un arrêté. Il s’agit d’une action subsidiaire de la commune. Cela signifie que si les Gens du Voyage ne partent pas, la commune peut les expulser.

C’est à ce moment que la question de l’exécution forcée se pose. On distingue alors :
• l’occupation illicite de la voie publique, possibilité d’adopter un arrêté s’il y a un problème de sécurité publique ;
• les lieux accessibles au public, on peut alors prendre une ordonnance,
• un règlement du conseil communal et enfin,
• un lieu qui n’est pas accessible au public, par exemple un terrain privé où il y a un risque que le trouble s’étende sur le domaine public.

La parole a ensuite été donnée à Catherine DELHEZ, échevine de la commune d’Amay en charge des affaires sociales. Elle nous raconte l’accueil des Gens du Voyage au sein de sa commune : « Amay a toujours été une terre d’accueil pour les Gens du Voyage. Tout le monde les a toujours connus sur le territoire. Amay et les Gens du Voyage, c’est une histoire de près de 100 ans. De nombreux voyageurs se sont d’ailleurs sédentarisés sur Amay. Ils participent à la richesse de notre commune et de notre diversité… On estime à plus ou moins 300 personnes issues du monde des Gens du Voyage qui se sont sédentarisées à la fin de la guerre.

Dans un premier temps, les GDV s’installaient pour des conventions sur des grands terrains à l’époque, où ils organisent des mariages. Par la suite, les grands terrains se sont faits de plus en plus rares et donc les autorités communales cherchaient à chaque fois des solutions à chacune des arrivées des GDV. Donc, les choses, à cette époque, n’étaient pas structurées. En 2009, la commune d’Amay organise un accueil concerté sur le territoire avec l’aide de la région wallonne… Nous sommes vraiment convaincus qu’organiser, gérer, planifier cet accueil permet d’éviter toute une série d’écueils. Il est beaucoup plus confortable de le faire de cette manière. Il vaut mieux un accueil encadré où on sait exactement quelles sont les familles, les personnes qui sont présentes, ce qui existait dans le passé où on avait des groupes qui s’installaient de façon anarchique sans accueil ni aucun contrôle.

On pense vraiment que maintenir un projet comme celui-ci, demande une vigilance de tous les instants, un travail d’information pédagogique envers les Gens du Voyage, mais également envers la population amaytoise. Un constat que nous pouvons réaliser depuis des années. 90% des groupes respectent les règlements, ne posent pas de problème, jouent le jeu des réservations, caution, etc. Ils sont également les bienvenus sur le territoire. A côté de cela, on constate que 10% ne respectent pas les codes, posent des problèmes, menacent l’ensemble.
Enfin, Vital WOUTERS, référent des Gens du Voyage au sein de Wasseiges nous a expliqué comment se déroulait le séjour temporaire. Il résume son quotidien ainsi : « Dans la rencontre avec les Gens du Voyage, il y a du positif, il y a du négatif, mais c’est quelque chose qui se fait dans toutes les populations. Ça se passe aussi dans les populations normales, dans les villages que dans les populations des Gens du Voyage. Ils sont comme nous autres, ils vivent comme nous autres. Ils vont au magasin du coin comme nous. C’est aussi, un apport supplémentaire pour des petits villages qui essaient d’avoir encore leur commerce etc. Le fait qu’il y ait à certains moments jusqu’à 150 personnes qui se fournissent dans le coin, c’est aussi un plus. Il y a aussi ces côtés positifs…
Une fois que l’on va à leur rencontre, je trouve que ce sont des gens très agréables, sympathiques et qui font comme nous autres, ils essaient de gagner leur croûte, comme nous autres. Ils vivent d’une manière différente que nous, mais elle est pratiquement identique à part qu’eux, ça bouge et nous, ça ne bouge pas. »

Enfin, Ahmed AHKIM, directeur du CMGV, conclut la matinée en s’adressant aux policiers présents dans la salle : « par votre présence, votre position sur le terrain, vous êtes à l’écoute. Lorsque l’on comprend leur situation, leurs besoins, leurs difficultés aussi leur travers comme toute autre population. On arrive toujours à trouver des solutions adéquates. Ce besoin d’être compris, me pousse à rappeler qu’une des clefs de réussite dans le contact, dans l’organisation de la présence des GDV, il y a un élément important qui est de comprendre les GDV que vous avez devant vous. Il ne s’agit pas de les comprendre en général. Sur le terrain, il s’agit d’aller au-delà, comme quand vous intervenez auprès des jeunes, vous intervenez auprès de certains jeunes, que vous connaissez par ailleurs. Vous connaissez leur énergie, leur travers et leur tendance, y compris leur déviance. Par rapport aux GDV, c’est la même chose. Vous n’allez pas accepter les GDV dans l’absolu, ce sont les familles que vous avez devant vous ».